CEPII, Recherche et Expertise sur l'economie mondiale
Bâle 3 : des évolutions mais pas de révolution


Jézabel Couppey-Soubeyran

La crise financière amorcée en 2007 a replacé au cœur du débat public la surveillance du secteur bancaire et financier. Les gouvernants savent depuis longtemps la nécessité de protéger l’épargne des déposants et de prévenir les faillites bancaires. La crise de 1929 avait sévèrement illustré le danger d’une ruée au guichet des déposants et la contagiosité des faillites bancaires. À l’époque, la crise s’était en quelques mois transformée en crise mondiale et avait plongé les économies touchées dans une profonde dépression. C’est à la suite de la crise de 1929 que les États-Unis avaient voté le Glass Steagall Act pour encadrer strictement l’activité des banques, en imposant une séparation stricte entre les activités de banques de dépôts et les activités de banques d’affaires et avaient mis en place un dispositif fédéral de garantie des dépôts. Les pays d’Europe avaient opté pour la même philosophie d’encadrement strict dans les années d’après guerre. En forçant l’adoption d’un ensemble de règles et de lois, la crise de 1929 a posé les bases de la réglementation bancaire. L’application et la surveillance de ces règles ont dans chaque pays été confiées à des autorités de surveillance, exerçant ce qu’on appelle aujourd’hui la supervision. Réglementation et supervision constituent un axe majeur de la régulation financière. Pour autant, celle-ci ne s’y réduit pas. La régulation financière fait également intervenir d’une part les pressions que les investisseurs sont capables d’exercer sur les banques, ce qu’on peut appeler la discipline de marché et, d’autre part, la gouvernance et les dispositifs de contrôle que les établissements s’imposent à eux-mêmes, le contrôle interne. Si la réglementation héritée des années 1930 faisait peu de place à la discipline du marché dont il s’agissait alors de pallier la défaillance, ainsi qu’au contrôle interne des établissements qu’il s’agissait bien davantage de placer sous la tutelle des États, les choses ont beaucoup évolué au tournant des années 1970-1980. Progressivement, les règles strictes d’encadrement ont laissé la place à des normes prudentielles issues d’accords internationaux et transposées dans les réglementations nationales. La plus connue est le ratio Cooke issu des premiers accords obtenus en 1988 au sein du Comité de Bâle, créé en 1974 pour favoriser l’harmonisation internationale des règles nationales de contrôle des établissements bancaires. Il s’agissait alors de recommander que l’ensemble des banques d’envergure internationale respectent un ratio d’au moins 8 % entre leurs fonds propres et leurs crédits risqués. Le ratio Cooke a depuis lors fait l’objet de réformes. La réforme du ratio Cooke a été portée par la volonté de ménager une place plus grande au contrôle interne et à la discipline de marché. Issu des accords de Bâle 2 entrés en application à la veille de la crise, le ratio Mc Donough aura fait long feu : les exigences de fonds propres vont devoir évoluer à nouveau dans le cadre des accords de Bâle 3 imposés par la crise.
Il ne faudrait toutefois pas en déduire que la réglementation bancaire se décide à une échelle internationale et qu’elle s’adapte vite aux évolutions de la sphère bancaire et financière. La réglementation demeure mise en œuvre par des autorités de tutelle nationales, engagées dans un processus de coopération qui exige du temps. La mise en application des réglementations recommandées au sein de comités internationaux de concertation tels que le Comité de Bâle demeure ensuite suspendue à la bonne volonté des États. Le cas des États-Unis, peu enclins à faire appliquer Bâle 2 et qui ne le seront sans doute pas davantage pour Bâle 3, est assez emblématique. La volonté des gouvernants est d’autant plus nécessaire que l’innovation dans le domaine prudentiel est soumise à une asymétrie forte : ses coûts sont largement plus visibles que ses gains, ses échecs bien plus retentissants que ses succès. Aussi est-ce le plus souvent dans la nécessité et l’urgence suscitées par les crises que les dispositifs de supervision évoluent. La crise financière de 2007-2009 fournit cette occasion. Même si les aspects les plus médiatisés (encadrement des bonus, réglementation des hedge funds, lutte contre les paradis fiscaux) ne sont pas forcément les plus grands points d’achoppement de la régulation financière, rarement le dossier de la supervision et de la réglementation bancaire et financière aura été aussi travaillé et discuté. Cette crise ne parviendra sans doute pas à expurger la sphère financière de tous ses dysfonctionnements, mais au moins a-t-elle ramené les régulateurs et les banquiers chacun à leur principe de réalité : le métier de banquier est de gérer les risques et non de s’en débarrasser et, en tout cas, pas de les gérer en s’en débarrassant ; le métier de régulateur est de veiller à la stabilité financière en faisant appliquer des règles adaptées à l’évolution et à l’échelle des activités bancaires et financières. Les banquiers ont finalement pâti de la vitesse excessive à laquelle ils sont passés d’un modèle dans lequel ils prenaient des risques, les conservaient et en payaient le prix en fonds propres (modèle « origination-conservation ») à un modèle dans lequel, une fois pris, le risque est transféré (modèle « origination-distribution ») sur un autre investisseur grâce à une opération de titrisation ou à l’achat de dérivés de crédit. Les autorités de tutelle ont, quant à elles, pâti de la lenteur avec laquelle elles s’adaptent à l’innovation financière et de leur obstination à se concentrer sur un seul et unique ratio de solvabilité, jusqu’à le raffiner à l’excès et perdre de vue sa fonction première, celle de constituer un signal d’alerte. Tout au long des années 1990, elles ont en effet dépensé une énergie folle au sein du Comité de Bâle à faire évoluer le ratio Cooke et parvenir aux accords de Bâle 2, lesquels ont commencé d’entrer en application en 2007-2008, soit à la veille, sinon même aux prémices de la crise. Il ne s’agit pas de nier les aspects positifs de l’obtention des accords de Bâle 2 : un éventail plus large de risques couverts par les exigences de fonds propres (risque de crédit, risque de marché, risque opérationnel), une calibration plus fine des risques, une intégration plus forte entre réglementation et contrôle interne des banques, une exigence de communication d’informations. Il s’agit toutefois de relever qu’à se consacrer exclusivement au chantier Bâle 2, les régulateurs en ont abandonné beaucoup d’autres. Et si les causes de la récente crise sont assurément multiples (excès de liquidité, surendettement, titrisation…), l’abandon de ces chantiers en fait partie parce qu’il a contribué à l’inadaptation des dispositifs de supervision. Ces chantiers sont multiples mais on peut en distinguer quatre principaux : la liquidité des actifs détenus par les banques dont la crise a montré qu’elle pouvait soudainement disparaître ; le levier d’actifs (rapports entre la valeur des actifs d’une banque et celle de ses fonds propres) qu’un ratio de solvabilité finement pondéré en fonction des risques n’a manifestement pas aidé à plafonner ; la procyclicité des règles prudentielles et comptables qui s’est révélée être un puissant amplificateur des variations de prix d’actifs ; le risque systémique dont la crise a démontré qu’il existait bel et bien et dont la prévention exige la mise en place d’un volet macroprudentiel.
La crise a obligé à réinvestir ces chantiers. Les prochains accords de Bâle 3 devraient, de ce point de vue, soumettre les banques à une batterie rénovée et élargie d’exigences prudentielles. S’agit-il pour autant d’une révolution ? À entendre les banques évoquer les résultats de leurs études d’impact, on pourrait le croire. Pourtant, au moins trois raisons laissent penser qu’il s’agit bien plus d’une évolution dans le droit fil de la supervision passée que d’une révolution. La première est que le processus de consultation auquel le Comité de Bâle soumet ses recommandations favorise l’organisation des lobbies bancaires dont l’activisme aboutit quasiment toujours à un assouplissement des règles. La deuxième est que les autorités de supervision restent attachées à leur philosophie prudentielle et non intrusive. La troisième est que les changements envisagés dans le cadre des accords de Bâle 3 touchent, comme à l’accoutumée, bien plus aux règles qu’aux institutions en charge de la supervision. Si en ce domaine aussi la crise sera vecteur, sinon accélérateur de changements, les réformes touchant à l’organisation des dispositifs de supervision et au réagencement des autorités qui en ont la charge resteront d’envergure nationale.
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 L'économie mondiale 2011
La Découverte, Paris, 2010
pp.58-73

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